Le 9 mai 2006, le journal Le Parisien titrait : Suicides : « La nouvelle affaire du Distilbène ® ».
Le diéthystilbestrol, commercialisé sous le nom de Distilbène®, fut employé pour éviter les avortements spontanés, alors que le Vidal (dictionnaire des médicaments réservé aux médecins) indiquait déjà qu'il était « formellement contre-indiqué chez les femmes enceintes ». En effet, non seulement il engendrait des grossesses difficiles, mais il pouvait provoquer des cancers de l'utérus chez la mère et des malformations de l'appareil génital de l'enfant.
Dès 1953, un médecin américain avait prouvé l'inefficacité de cette thérapeutique et, en 1971, une étude américaine portant sur quatre mille femmes pendant cinq ans démontra tous les effets nocifs énumérés ci-dessus. La FDA (Food and Drug Administration), agence de sécurité sanitaire et alimentaire américaine, en interdit immédiatement l'usage, suivie au cours de l'année 1971 par les services de santé d'autres pays.
Mais en France, avec la bénédiction des pouvoirs publics, on a continué à l'administrer pendant six ans supplémentaires, connaissant tous les risques encourus par son utilisation et malgré le cri d'alarme lancé par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) en 1973, dans une publication scientifique intitulée Carcinogenèse chimique transplacentaire. Et c'est seulement en 1988 que l'on s'est avisé de faire chez nous une étude sur les effets à retardement du Distilbène® pour découvrir ce que les Américains avaient prouvé dix-sept ans plus tôt !
Entre 1950 et 1977, 160 000 Françaises ont « bénéficié » de ce traitement. Cela n'empêche pas certains de persister à affirmer que nous sommes les plus prudents en matière de santé publique et que nous avons le meilleur système de « santé » du monde !
Nous pourrions être rassurés, puisque ce poison est enfin formellement « contre-indiqué chez la femme », mais en 1992 on apprenait qu'environ quatre-vingt mille jeunes Françaises risquaient d'avoir des grossesses difficiles parce que leurs mères avaient pris, vingt ans plus tôt, cet ¦strogène de synthèse sur les conseils de leurs médecins, eux-mêmes conseillés par les laboratoires. Le Distilbène® pouvait provoquer chez 50 à 75 % de ces femmes exposées in utero des malformations de l'utérus, du col utérin ou des trompes qui risquaient de conduire à des avortements spontanés ou à des accouchements prématurés. Dans un cas sur mille, il était susceptible d'entraîner un adénocarcinome du vagin ou du col de l'utérus, forme rare de cancer. Quant aux garçons, ils étaient menacés de malformation des organes génitaux et des voies urinaires ainsi que d'une déficience de la fécondité. Qui fut responsable de ces accidents ? Personne évidemment ! Et personne, en effet, n'a alors été mis en examen pour ce laxisme criminel.
Malgré sa toxicité, le Distilbène® a alors continué sa carrière comme « pilule du lendemain », mais étant donné qu'il ne connut pas un franc succès dans ce domaine, le laboratoire fabricant ne s'avoua pas battu pour autant et eut la brillante idée de le destiner à l'engraissement rapide des volailles et du bétail. Comme s'il avait perdu sa toxicité en étant ingéré par les animaux, qui sont ensuite ingérés par l'homme, il ne faut pas l'oublier ! Aussi, nous ne devons pas nous étonner de tous les déboires de santé que subissent les volailles et le bétail de batteries.
Heureusement, en 2004, presque trente ans plus tard, un tribunal a condamné la firme pharmaceutique UCB Pharma à indemniser la famille d'une victime décédée d'un cancer de l'utérus. Depuis 2002, à quatre reprises, le laboratoire a été reconnu responsable du préjudice, et d'après l'avocate des victimes, 63 dossiers sont en cours. Cependant, aucun responsable de la santé publique n'a été inquiété, alors que tous ceux qui ont laissé faire sans intervenir étaient les complices du laboratoire. « Ce ne sont pas ceux qui font le mal qui rendent le monde insupportable, mais ceux qui regardent et laissent faire », pensait à juste titre Albert Einstein.
Cependant, il n'a pas encore terminé sa carrière médicale et reste dans le commerce car, en 1966, un chercheur américain, Charles Huggins, a eu un prix Nobel pour avoir découvert que cette molécule faisait régresser le cancer de la prostate. Le Distilbène® est donc, à présent, « strictement réservé » au traitement du cancer hormono-dépendant de la prostate. On peut se demander si les malades qui l'utilisent ou même tous les médecins qui le préconisent connaissent ses antécédents.
Or, Le Parisien signale à présent que « selon un rapport édifiant, le Distilbène ® serait aussi à l'origine d'une véritable série de suicides ».
Le quotidien, qui rappelle que ce médicament a provoqué cancers et malformations, annonce que l'association Hhorages, qui regroupe des victimes d'hormones de synthèse, vient de remettre un rapport stupéfiant à la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, dans le cadre d'une instruction sur le médicament ouverte en février. Le médicament aurait altéré le comportement d'enfants dont les mères avaient été traitées avec ce produit, car l'étude menée par Hhorages a conclu à un taux de suicides surélevé chez « les enfants du Distilbène ®» ».
Le quotidien explique que Marie-Odile Gobillard-Soyer, ancienne directrice de recherche du CNRS en biologie moléculaire, a travaillé sur les cas de 660 enfants exposés in utero au Distilbène ®.
« Sur cette population, 538 sont atteints de troubles psychiatriques (dépression, schizophrénie, anorexie), tandis que 74 souffrent uniquement de problèmes physiques. Autre chiffre effrayant : sur la totalité des cas recensés, on compte 112 tentatives de suicides et 22 suicides », poursuit Le Parisien.
Le journal ajoute que « la justice vient de demander une expertise scientifique », car « jusqu'ici, aucune recherche approfondie n'avait été lancée sur ce sujet ». On peut ainsi voir combien les effets secondaires des médicaments sont décelés avec de gros retards et que la liste initiale de ces effets est rarement exhaustive et peut être remise en cause à tout moment, même des dizaines d'années plus tard.
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